Réponse à la contribution de G. Mateos

Mateos Bonjour,

Tu proposes d’instaurer un débat le 1er Mai entre libertaires sur les résultats du 1er tour des présidentielles. L’idée serait bonne si les invitations étaient lancées, et que notamment les intervenants de la société non encartée y participaient. S’il s’agit de réunir, je ne sais où les représentant des 4 ou5 organisations qui traditionnellement regardent passer les révolutions en leur accordant ou non leur certificat de bonne moralité, excuse-moi, mais autant pisser dans un violon. Cela fait longtemps que la mouvance libertaire fait avancer nos idées dans la société, pendant que nos militants jouent les gardiens de musée. Je ne sais où tu comptes tenir demain un débat, mais je t’envoie à titre amical une participation critique basée sur ton texte et sur le mien qui circule depuis quelques jours et que tu as pu lire sur le site de vap.

Je n’exprime aucune animosité contre toi, même si pour faire avancer le débat je vais prendre à partie tes analyses et tes conclusions et je salue le fait que tu ais pensé à ouvrir un débat ce qui dans nos rangs est beaucoup plus rare que les verres de vin, à moins que les débats s’apparentent à de la propagande pure et simple ou soient confinés dans des revues confidentielles. Je fais partie de ceux qui pensent que ce n’est pas l’Organisation qui manque aux anarchistes actuels mais le manque d’ouverture d’esprit et de capacité de réflexion. Aussi je te remercie infiniment de me donner l’occasion d’exposer mes désaccords, et j’invite quiconque à argumenter sur mon propre texte.

L’analyse des résultats que tu donnes est sommaire, voire parfois erronée. En effet comme je le montre chiffres à l’appui dans mon texte « une analyse libertaire du 1er tour des présidentielles » consultable à http://www.chez.com/vap/ , s’il n’y a effectivement peu de poussée F.N., Il n’y a pas un effet parallèle d’abstention entre la droite et la gauche, effet sur lequel tu t’appuies pour renforcer une analyse de renvoie dos à dos. La gauche subit 600 000 voix de pertes. Le glissement des voix du PC vers l’extrême gauche trotskiste ne joue en rien sur le fait que Jospin soit ou pas au deuxième tour. Ce qui fait perdre Jospin se ne sont pas les abstentionnistes, mais la dispersion sur 3 candidats de ces voix de 95, donc son incapacité politique à rassembler ses troupes.

Concernant l’analyse de la chute de la droite, c’est très pratique de la mettre sur le dos des affaires de Jacques Chirac. Elles y sont certainement pour quelque chose mais c’est avant tout l’UDF qui s’effondre, et de toute façon cela ne joue pas sur la présence de Le Pen au deuxième tour, mais sur la capacité de rassemblement du président au deuxième tour.

Est-ce qu’un plébiscite à la Napoléon III accorderai un brevet d’anti-fascisme à Jacques Chirac ? Il y a fort à parier qu’un score de République bananière le réduirait au rôle de président mal élu, dans l’opinion, et non l’inverse.

Contrairement à toi, je pense que toutes ces considérations, ne sont pas celles qui peuvent emporter l’adhésion au vote anti-Le Pen. A ce point, notre débat n’est que discussions de politologues de salon. L’anarchisme n’a rien à voir dans les considérations électoralistes de la droite et de la gauche.

Par contre à partir de ce déblayage de chiffres, se posent les vraies questions pour nous.

L’utilisation (et non l’acceptation de la finalité) du vote est-il un moyen efficace pour porter un coup à l’extrême droite et la faire régresser ? Le mouvement hors partis qui s’est formé, et notamment hors trotskistes, est-il spontané, anti-autoritaire, porteur d’espoir, de prise de conscience, alternatif ? Peut-on refuser d’y participer?

A ces questions j’ai déjà répondu dans mon texte, je ne reprendrai donc pas l’argumentaire là pour ne pas faire trop long. Mais mes arguments montrent une autre vision des priorités de l’action sociale des libertaires. Tu défends avant tout une vision organisationnelle et historique de type partidaire (les anarchistes historiques, les orgas anars, les mouvements des années 30, le salut obligé à nos grands penseurs du XIXeme siècle, le système fédératifs des producteurs libres) mais à aucun moment tu ne parles des vrais gens qui dans la rue, chez eux, dans les cours d’école font la société d’aujourd’hui et réinventent l’anti-autoritarisme et un anarchisme naturel, humaniste et non politicien. Dans ta vision stratégique de la politique tu envisage et tu évacues le Le Pen président à court ou à long terme, mais tu oublies la lutte contre les idées de morale sociétales que le FN trimballe, alimente. Tu n’as pas envisagé que ce n’est pas Le Pen l’ennemi, c’est ces idées. Ce n’est pas la gauche qui combat Le Pen, c’est le « peuple de gauche » qui fait barrage pour que les partis de gauche, de droite et du centre ne lui emboîte pas le pas. Dans ton analyse je pense qu’il manque un élément essentiel et difficilement politiquement quantifiable : c’est la Vie. Tu n’arrives pas à sortir du schéma : « les anarchistes pensent, disent et veulent », pour l’idée que l’anarchisme d’aujourd’hui est une prégnance dans les valeurs de base d’une bonne partie de la population et que dans certaines conditions historiques ces valeurs s’affirment et font avancer les choses. J’espère que tu ne pense pas que ce sont les actions des orgas anars qui ont obtenu les avancées depuis 60 ans sur la parité homme-femme ; ce sont pourtant les anars qui l’ont conceptualisé les premiers au XIXeme siècle.

En espérant que le débat ne sera pas clos là, et que ces quelques péripéties dans la longue lutte pour une vie plus juste, ouvre les yeux et les oreilles de ceux qui ne voient plus et n’entendent plus qu’en dedans d’eux même, et encore…

La lutte continuera quoi qu’il en soit
jean gilbert